Kobolds et Catacombes - Le conte du malandrin
« Quand nous avons quitté Marin, notre intrépide héros se trouvait dans une situation délicate : coincé sur un pont de cordes sur le point de lâcher, juste au-dessus d’un gouffre béant, sa seule issue bloquée par des kobolds hostiles. Pour compliquer encore les choses, une étrange magie semble être à l’œuvre ! »
Le barde saisit son luth et se met à jouer une mélodie vive mais angoissante, ses accords exprimant clairement le danger. « Le roi kobold a exigé un golem, et ses serviteurs s’exécutent. De la cire fondue commence à couler des énormes bougies jaunies fixées sur la tête des kobolds tandis qu’ils se mettent à psalmodier… »
Les lèvres du roi Cire-Pilleur esquissent un rictus de mauvais augure quand ses ciromanciens lancent leur incantation. La cire brûlante a beau couler abondamment, la taille de leurs bougies n’a pas l’air de diminuer. Au lieu de cela, les flots de cire apparemment sans fin convergent pour former une flaque des plus suspicieuses. Marin observe avec une inquiétude grandissante la cire s’agglomérer et prendre une apparence humaine, la silhouette finissant par le dépasser d’une bonne tête. Enfin, un semblant de visage apparaît, des mèches enflammées à la place des yeux. Son regard ardent fixé sur Marin, le golem pose un pied sur le pont.
« Un golem de cire. Évidemment. J’aurais dû m’y attendre de la part des kobolds. », murmure Marin.
Cire-Pilleur glousse de joie. « Vous pas prendre cette bougie, aventurier beaucoup stupide ! »
Le pont tangue sous le poids du golem, ses cordes fatiguées grinçant comme des charnières rouillées. Convaincu d’avoir entendu quelque chose céder, Marin recule à mesure que le golem avance. Il n’aurait jamais cru que ces kobolds simples d’esprit pouvaient lancer des sorts aussi puissants ! Mais ce n’est pas le moment de ruminer sur l’ingéniosité des kobolds ; il doit se débarrasser du golem au plus vite car le pont craque et tremble à chaque pas de la monstruosité de cire.
Marin dégaine son épée alors que le golem avance vers lui en titubant, et tente de le taillader quand il arrive à sa portée. Sa lame traverse le corps de cire tiède sans rencontrer guère de résistance, mais les blessures infligées par son épée se referment quasi instantanément. Les kobolds poussent de bruyantes acclamations.
L’énorme golem de cire tend les bras et tente d’empoigner Marin de ses grosses mains. Marin esquive facilement car le golem est maladroit et lent. Mais il est infatigable. Marin le taillade une bonne dizaine de fois, mais le golem poursuit son attaque, la flamme de ses yeux embrasant l’obscurité.
Des yeux, il a des yeux ! Ça donne une idée à Marin. Il prend une profonde inspiration et laisse le golem se rapprocher. Dès que ce dernier tend les bras pour l’attraper, Marin plonge comme pour se jeter dans son étreinte. De l’autre côté du pont, les kobolds poussent des cris de joie, persuadés que cet idiot d’aventurier vient de faire une erreur fatale.
Si le golem est capable d’éprouver quelque chose, il ne s’attendait sans doute pas à ça. Il est allé trop loin, ses énormes bras passent au-delà de l’aventurier sans lui faire le moindre mal. Si près de la créature, Marin peut sentir son souffle contre nature et une suffocante odeur de cire brûlée. Avant qu’il ne referme ses bras sur lui, Marin prend une profonde inspiration puis expire puissamment. Les flammes logées dans les orbites du golem s’éteignent en dégageant de minces volutes de fumée. Surpris, il recule, aveuglé, sa proie oubliée, exactement ce qu’espérait Marin. Les kobolds grognent de dépit.
Marin profite de la distraction générale pour rengainer son épée et rejoindre le bord du pont. Son estomac se noue tandis qu’il se balance à bout de bras, suspendu à l’une des cordes éfilochées, le gouffre sans fin semblant se tendre vers lui pour agripper ses bottes. Il avale sa salive et poursuit son chemin, dépassant le golem qui tâtonne et se débat, en faisant bien attention à ne pas se faire écraser les doigts. Il veille à mettre une bonne distance entre la créature et lui avant de remonter sur la travée vermoulue avec un soupir de soulagement. Il n’est plus très loin des kobolds, désormais. Après s’être redressé pour les affronter, il tire son épée et la pointe vers les créatures. C’est le moment de lancer une réplique théâtrale et grandiloquente !
« Euh… Vous avez entendu ça ? »
Marin sent ses cheveux se hérisser sur sa nuque. Un faible brouhaha, déroutant et discordant, mais semblant provenir de nombreuses bouches, s’élève dans le tunnel derrière les kobolds. Ces derniers échangent des regards horrifiés. Tout excités qu’ils étaient d’acclamer leur champion de cire, ils en ont oublié de surveiller leurs arrières. « Ça être bafouilleurs farouches ! », s'exclame le roi Cire-Pilleur, s’engageant sur le pont à toute allure et abandonnant ses sujets sans la moindre hésitation.
Les kobolds se ruent à la suite de leur roi, dépassant l’aventurier sur le pont dans leur course folle pour fuir ce qui approche. L’autre côté du pont étant toujours bloqué par le golem aveugle, ils se massent derrière Marin pour se protéger, visiblement oublieux de leur précédent conflit face à cette plus grande menace.
Marin lève les yeux au ciel en tâchant de retrouver son équilibre malmené par l’arrivée des kobolds. « Vous plaisantez ! Ne faites pas ça, bande de bougies mal coulées ! Le pont ne tiendra jamais ! »
Et le pont de lui donner raison. Il a bravement supporté le poids d’un homme adulte et d’un monstre de cire gargantuesque. Il n’a pas non plus bronché quand Marin a fait toutes ses acrobaties. Mais le poids d’un groupe de kobolds tremblants, d’un golem tâtonnant et d’un héros, c’est trop pour lui. Les cordes poussent un long gémissement avant de se rompre.
« Accrochez-vous ! », crie Marin. Il lâche son épée et fouille l’air pour se raccrocher à quelque chose, mais c’est déjà trop tard. Les cordes cèdent sous les pieds du golem, claquant comme un fouet géant, et aventuriers, kobolds et golem plongent en chœur dans l’abîme.
« Ils ne sont pas morts. », affirme le barde à son audience ébahie. « Comme certains d’entre vous ont l’air inquiet, je préfère vous l’annoncer de suite. La rivière n’est pas aussi loin qu’il y paraît et elle est profonde. », glousse le barde. « Personne ne tue son héros au milieu de l’histoire, voyons ! »
Il pose un pied botté sur son chaudron. « Maintenant, ça ne veut pas dire que tout va bien pour eux. Pas du tout. Les choses vont commencer à devenir intéressantes. » Le barde sourit d’un air mystérieux. « J’ai juste besoin de reposer un peu mes cordes vocales, j’ai la gorge sèche. Vous comprendrez bientôt ce que je veux dire. »
La suite dans la troisième partie.